Un exemple, ou comment construire son image dans un sport à 300 licenciés :
http://abonnes.lemonde.fr/ski/article/2 ... e&xtcr=46
Pour ceux qui ne pourraient accéder à la page, je mets la partie qui nous intéresse ici :
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Sortir la discipline de l’ombre
Au début de sa carrière, Martin Fourcade rêvait d’être champion de ski. Les chiffres – quatre médailles olympiques, cinq victoires au classement général de la Coupe du monde, dix titres de champion du monde – semblent indiquer que cette case-là est cochée. Puis il s’est fixé un deuxième défi : sortir sa discipline de l’ombre. C’est en cours.
Il a dû, au début, envoyer lui-même des nouvelles aux journalistes, gérer son site Internet, coproduire un film sur sa préparation et le vendre à Eurosport. Désormais, tout le monde vient à lui. En 2012, il s’est attaché les services d’une avocate spécialisée pour gérer ses contrats et trier les postulants. Deux ans plus tard, c’est une attachée de presse qui l’a rejoint, avec une consigne : il veut, dans le respect des temps d’entraînement et de repos, pouvoir répondre à tout le monde. Aujourd’hui, il continue de lire tout ce qui s’écrit sur lui – mais pas seulement.
« Depuis ses titres aux Jeux de Sotchi, la demande est beaucoup plus constante, constate Cathy Lallement, son attachée de presse. Il est aujourd’hui le seul athlète français de sports d’hiver, avec peut-être Alexis Pinturault en ski alpin, qui existe vraiment entre les JO. »
Omniprésent médiatiquement, cité chaque week-end pendant cinq mois tant il est régulier dans la victoire, Martin Fourcade s’est installé à la table des sportifs français qui comptent, ce que Raphaël Poirée, que l’exercice médiatique rebutait, n’avait jamais su faire. Les Jeux de Sotchi, dont il a été la seule star tricolore – trois médailles dont deux en or –, ont été un catalyseur.
Ses succès, générant des audiences importantes pour France Télévisions, l’ont propulsé dans le classement TNS-Sofres des sportifs préférés des Français, à la 25e place. Il en a perdu cinq en 2015, saison post-olympique. Jason Lamy-Chappuis, porte-drapeau de la France à Sotchi, ou Jean-Baptiste Grange, seule star française du ski alpin jusqu’à l’éclosion d’Alexis Pinturault, n’ont pas atteint ces hauteurs. Parmi les champions de sports d’hiver, il faut revenir au patineur Brian Joubert et à la descendeuse Carole Montillet pour trouver mieux placés.
Fourcade grimpera sûrement dans le prochain sondage : ses victoires en Coupe du monde étaient auparavant vues par moins de 200 000 personnes en moyenne sur Eurosport. Elles sont quatre fois plus sur L’Equipe 21, chaîne de la TNT qui réalise grâce au biathlon des audiences historiques à son échelle. Une aubaine pour cette chaîne en difficulté comme pour ce sport très télégénique, depuis toujours réservé en France aux abonnés d’Eurosport, la chaîne lui devant déjà ses meilleures audiences hivernales.
« Ce n’est plus une démarche que d’aller regarder le biathlon, on peut tomber dessus par hasard, se félicite Fourcade. On a l’occasion de faire découvrir notre sport à un public nouveau, moins passionné. »
Une notoriété qui va croissant
Le Catalan a constaté les vertus de cette ouverture au grand public sur les pistes d’Oslo comme depuis le début de la saison, assure-t-il au Monde : « Les Français qui viennent assister aux courses ne viennent plus forcément de Grenoble ou du Jura. Ils viennent de partout en France, notamment de région parisienne. Ce sont des gens qui n’ont pas baigné dans l’univers de la montagne. »
L’engouement se lit aussi sur les réseaux sociaux, où le nombre des abonnés aux comptes de Fourcade a bondi, même si, avec ses 600 000 suiveurs cumulés, il reste loin des stars du sport français ou de celles de la Ligue 1. Cette popularité commence à se monnayer. Ses gains en course, qui dépasseront les 200 000 euros cette saison, ne constituent plus sa première source de revenus. Rossignol, BMW ou Somfy, partenaires du circuit mondial de biathlon, sont aussi ses sponsors personnels, et la mutuelle MGEN a rejoint ce (large) cercle pour un montant annuel compris entre 160 000 et 200 000 euros sur cinq ans. Martin Fourcade s’affiche ainsi depuis deux saisons dans les salles de cinéma, sur les écrans de télévision, au dos de magazines.
« Ce qui va porter la notoriété de Martin, maintenant, c’est, au-delà de ses résultats, les campagnes que font ses annonceurs autour de lui », observe son avocate, Delphine Verheyden, qui dit recevoir en ce moment deux marques d’intérêt par semaine. « Au début, il n’avait à vendre que la visibilité sur son équipement. Maintenant, il vend son image, c’est vraiment différent. Ce sont les valeurs du bonhomme et de la discipline que les marques viennent chercher, et là-dessus, je n’ai pas besoin de leur raconter d’histoires, elles correspondent à ce qu’il est vraiment. »
Humilité, honnêteté, travail : ces mots reviennent dans sa bouche comme dans celle du directeur de la communication de la MGEN, Sif Ourabah, qui a fait de Martin Fourcade son porte-drapeau « avec une grande sérénité, à propos du dopage notamment ».
Reste que, hormis un discours franc contre la triche et quelques saillies inattendues, le personnage Fourcade ne surprend pas. Et lorsqu’on pratique le biathlon, on est non seulement condamné à l’exploit pour exister mais aussi soumis à un plafond de verre en termes de notoriété.
« Il a fait tous les “20 heures” et deux “unes” successives de L’Equipe, c’est le signe qu’il passe un cap, mais il sera toujours moins connu que Serge Aurier, sourit Gilles Dumas, cofondateur de l’agence de marketing sportif Sportlab. Ce n’est pas qu’il soit ennuyeux, mais c’est un champion, point barre. Il a un profil à la Tony Estanguet : un homme qui parle très bien de son sport, mais il n’est pas très glamour, il n’a pas une personnalité extravagante. »
Le triple champion olympique de canoë est justement le modèle de Martin Fourcade, parce qu’il est « quelqu’un de bien ». Leurs points communs sont multiples : sport confidentiel et olympique qu’ils dominent outrageusement, intelligence certaine, aisance face à la caméra, profil de gendre idéal incapable du moindre dérapage.
« Je ne suis pas dans une démarche de recherche de la popularité. Je ne me suis jamais prostitué pour qu’on parle de moi », assure Martin Fourcade. Si toutefois il voulait entrer dans le cœur de ses compatriotes, il pourrait toujours gagner une émission de télé-réalité (mais il en a déjà refusé plusieurs), se faire naturaliser allemand, russe ou norvégien (d’où proviennent la majorité de ses demandes médiatiques), ou devenir l’athlète français le plus titré aux Jeux olympiques. Des trois options, cette dernière paraît de loin la plus sûre : il a déjà fait la moitié du chemin."